Publié en 1880, Nana fait directement suite à L'Assommoir, autre roman du cycle des Rougon-Macquart. Nana (son véritable nom, comme on l'apprend dans L'Assommoir, est Anna Coupeau, mais il n'est jamais mentionné dans Nana) est une jeune fille issue des milieux ouvriers, dont les deux parents sont morts d'alcoolisme et de maladie. La seule famille qui lui reste est une tante, Madame Lerat ; mais sans argent, son seul moyen de s'en sortir est la prostitution, qui lui a déjà apporté un fils né de père inconnu, Louis dit Louiset. Sa beauté plantureuse lui permet cependant de faire son chemin chez les "demi-mondaines", ces célèbres prostituées de luxe de la fin du XIXème siècle qui prennent leur clientèle chez les riches et les aristocrates.
C'est d'abord en se produisant au théâtre que Nana se fait remarquer. Elle joue atrocement mal et chante "comme une seringue" de l'aveu même du directeur, qui sait malgré tout que la beauté de la jeune fille et son déhanchement provocateur sous de simples voiles de tulle assureront son succès et celui de la pièce, un navet intitulé Blonde Vénus.
"A l'Aube" par Charles Hermans, 1875 [Public domain], via Wikimedia Commons |
Si Nana se complait dans le luxe clinquant (on dirait le "bling-bling" de nos jours), l'auteur parle régulièrement de "pourriture" issue du caniveau qui est restée en elle et qui détruit tout ce qu'elle touche. Les hommes qui l'approchent tombent comme des mouches : quand ils ne sont pas conduits à la ruine comme le comte Muffat ou le banquier Steiner, ils se suicident comme le jeune Georges Hugon qui caressait le rêve impossible d'épouser Nana, mais qui se fait chasser et traiter de "bébé" quand il ose l'évoquer devant elle. On peut voir là une revanche de la jeune fille, issue des milieux les plus défavorisés, sur la haute société qu'elle qualifie de "tous aussi cochons" après avoir pu voir leurs secrets et leur intimité. Mais tout cela ne la rend pas heureuse pour autant, car elle se lasse de tout : des cadeaux précieux qu'elle préfère briser pour se défouler, des robes valant des milliers de francs qu'elle laisse à sa femme de chambre après les avoir portées deux fois, et bien entendu de ses amants. Elle ne semble capable d'aucun sentiment durable, même pas envers son fils, qu'elle fait venir à Paris au début du roman, mais pour mieux le confier ensuite à sa tante, le considérant généralement au mieux comme un joli poupon à montrer, au pire comme un boulet à son pied.
Après un dernier grand triomphe au champ de courses, quand une pouliche nommée d'après elle remporte la course contre toute attente (ce qui cause la ruine et le suicide de son propriétaire, accusé d'avoir truqué les paris), Nana décide de tout plaquer, revend tout ce qui lui reste, et part pour une destination inconnue, les rumeurs évoquant la Russie ou parfois l’Égypte. Un départ qui fait d'elle une légende.
L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais Zola, fidèle à son idée du naturalisme, s'applique à déconstruire la légende en ne racontant que la vérité crue : dans le dernier chapitre du roman, on apprend que Nana est revenue à Paris. Une ultime erreur de sa part, car en rendant visite à son fils malade, elle attrape la variole, qui lui est fatale. A la fin du roman, la "pourriture" qui la poursuit a fait son œuvre : la belle demi-mondaine n'est plus qu'un cadavre au visage enflé et noirci par les pustules, mort quasiment dans l'indifférence générale, à l'image de sa mère dont la mort, à la fin de L'Assommoir, n'est remarquée par les voisins que quand l'odeur de décomposition commence à empuantir les couloirs. A part quelques-unes de ses consœurs, Paris l'a déjà oubliée et s'enflamme pour un tout autre sujet : la guerre de 1870 qui commence.
"Nana" par Édouard Manet, 1877 [Domaine public], via Wikimedia Commons. |
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