Je mène depuis que j'ai 21 ans (date à laquelle j'ai eu mon diplôme d'ingénieur et que j'ai commencé à travailler) une double carrière d'ingénieur en informatique et d'autrice de science-fiction et de fantastique. Même si on pourrait dire que cette seconde "carrière" n'a réellement commencé qu'en 2013 quand j'ai publié Alva & Eini sur Atramenta, je n'ai pas attendu ce moment pour écrire, et déjà en école d'ingénieurs, je passais du temps les soirs et week-ends à écrire Cyber-Arena, Les Anges maudits et même le premier jet du Don d'Osiris.
Pour l'anecdote, quand j'ai commencé à travailler, je mettais un point d'honneur à séparer travail et vie privée en allant jusqu'à porter un "uniforme", c'est-à-dire un tailleur que je retirais quand je rentrais à la maison pour bien marquer que je n'étais plus au travail. La stratégie n'a fonctionné qu'un temps et j'ai fini par comprendre que je ne pourrais pas empêcher mon travail de s'inviter dans le reste de mon temps... ni le reste de mon temps de s'inviter dans mon travail.
Un environnement dans lequel je reste immergée pendant une quarantaine d'heures par semaine, en plus d'être indispensable pour payer les repas et les factures parce que ce n'est pas avec mes pauvres gains d'autrice que je vais y arriver, a forcément une influence non négligeable sur ce que j'écris. Elle est plus perceptible quand je me lance dans des univers contemporains ou futuristes, bien entendu.
Un des exemples les plus marquants est Duncan Blackthorne et l'Ange écarlate où une entreprise nommée TrendLearning.com est directement inspirée d'un de mes anciens employeurs, tout en se conformant aux codes des années 90 et du début de la vague des surfingnet.com. J'avoue qu'il n'était pas bien difficile d'en faire une entreprise servant de couverture aux activités d'un Arcane Mineur, quand l'original faisait tout pour convaincre qu'il était lui-même noyauté par une secte, notamment avec d'étonnants séminaires obligatoires à base de tests de personnalité sans guère de fondement scientifique. J'ai quitté cette entreprise peu avant de terminer l'écriture de Duncan Blackthorne et l'Ange écarlate, je vous laisse imaginer pourquoi.
Plus près de nous, Dernière Course emprunte également à mon emploi actuel : sans donner trop de détails, je travaille pour une grosse entreprise américaine, dont la maison-mère a eu maille à partir avec des lois antitrust et des attaques en justice d'autres grandes entreprises, et nous a concocté à ces occasions une communication millimétrée où les disclaimers à base de "ces propos n'engagent que la personne qui les a écrits et ne constituent pas un communiqué officiel de l'entreprise" devenaient plus longs que les messages eux-mêmes. Du pain béni pour imaginer la communication de Cyclope Systems et de leurs avocats.
Mais dans le monde du travail, il n'y a pas que les entreprises elles-mêmes, il y a aussi les collègues. Dans un milieu geek comme l'informatique, on croise des personnages dans tous les sens du terme (et j'en suis probablement un à ma manière) et il est facile de s'inspirer d'eux pour peupler un roman ou une nouvelle. Un collègue a particulièrement la tête de l'emploi ? Il fera un excellent spécialiste de la programmation des cyborgs dans Dernière Course. Un autre a une manière particulière de parler ? Je m'arrête un instant sur une réplique en me demandant si elle rendrait bien en étant prononcée par lui. Un chef m'embête d'une manière ou d'une autre ? Pas de problème, un rôle de méchant ridicule sera taillé sur mesure pour lui.
Parfois, plus simplement, quand j'ai du mal à cerner l'apparence physique d'un personnage, je n'ai qu'à chercher parmi mes collègues pour en trouver une et en faire ressortir facilement les traits principaux, et il n'y a pas besoin d'aller très loin pour trouver des exemples : c'est de cette manière que j'ai défini le gros de l'apparence d'Oliver Lloyd dans L'étrange affaire Nottinger. Il y a également gagné son prénom définitif, ayant commencé sa carrière avec celui de Cole.
Malgré cela, la relation entre mon travail "officiel" et mon activité d'autrice est assez compliquée car avant tout, le premier prend du temps à la seconde, et surtout, pour reprendre une expression bien connue, du "temps de cerveau disponible", avec un très pénible effet de persistance : quand mon travail m'a bien pris la tête, il devient très difficile voire impossible de me remettre à l'écriture même avec la meilleure volonté du monde. Un grand nombre de séances d'écriture potentielles, ou parfois même d'idées dont le seul tort était de venir au mauvais moment, a fini dans le néant à cause d'un enchaînement de réunions trop pénibles ou d'une prise de tête d'un autre genre pendant la journée. Ne nous voilons pas la face, je m'en suis aussi vengée plus d'une fois en empruntant un peu de temps inoccupé à l'écriture d'un paragraphe de Dernière Course ou de La Légende de Thaalia. Mon activité d'écriture a aussi eu une influence un peu plus anecdotique et un peu plus étonnante sur mon travail : mes mots de passe sont inspirés (évidemment avec quelques ajustements) des titres de mes livres ou de mes projets en cours. Mes collègues n'étant pas très au courant de ces derniers, il leur est virtuellement impossible de deviner le mot de passe, et comme il est assez long, la méthode brute force n'est pas très efficace non plus.
En conclusion, n'en déplaise à mon "moi" de mes débuts sur le "marché" du travail, mon emploi "officiel" et mon activité d'autrice sont intimement liés pour le meilleur et pour le pire, chacun des deux gagne quelque chose de l'autre et aucun des deux n'aurait tout à fait le même aspect sans l'autre. Sans écriture, mon travail serait d'un ennui mortel. Sans travail, mon écriture raterait quelques inspirations. Le tout est de savoir les faire cohabiter intelligemment et avec l'esprit ouvert.
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