dimanche 28 octobre 2018

"Le Repaire du ver blanc" de Ken Russell

Une petite incursion dans la critique de nanar...

Parce que je préfère le préciser tout de suite : je ne suis pas une habituée des critiques de films, et je ne suis pas plus amatrice de nanars que ça en temps normal. S'il m'arrive parfois de tomber sur de mauvais films des années 80-90 et d'osciller entre rire et gêne devant les mauvais scénarios, les faux raccords, les effets spéciaux déjà kitsch à l'époque ou les clichés navrants, je n'en fais pas mon ordinaire.
Je suis tombée sur Le Repaire du ver blanc pour des raisons assez compliquées, et j'y ai été poussée entre autres par sa fiche sur Nanarland, véritable certificat d'authenticité du nanar. Quand on regarde le contexte, Le Repaire du ver blanc a pourtant tout pour être un film intéressant. Adapté (très librement, certes) d'une œuvre méconnue de Bram Stoker, l'auteur du célébrissime Dracula, ce film de 1988 donne leurs premiers rôles principaux à deux futurs grands noms britanniques du cinéma : Peter Capaldi (qu'on ne présente plus aux fans de Doctor Who) et Hugh Grant (qu'on ne présente plus tout court). Âgés respectivement de 30 et 28 ans, les deux futures stars étaient encore de quasi-inconnus à l'époque. Tourner avec Ken Russell, réalisateur qui avait déjà fait couler beaucoup d'encre pour ses films "innovants ou controversés" (dixit Wikipédia), devait apparaître pour eux comme une chance ; de nos jours, je ne sais pas s'ils ne regrettent pas de l'avoir fait.

En effet, en guise de film "innovant et controversé", Le Repaire du ver blanc ressemble surtout à une provocation inutile qui tombe à plat. Classé dans la catégorie "film d'horreur", il ne fait en réalité pas peur du tout : entre les scènes de cauchemar trop courtes pour qu'on en retienne autre chose que des couleurs à s'arracher la rétine, le suspense plombé par des dialogues trop longs et sans queue ni tête, et les effets spéciaux à petit budget façon "monstre en caoutchouc", si on arrive à faire dans sa culotte devant ce film, c'est surtout de rire. On peut éventuellement connaître quelques émois, si on arrive à apprécier Hugh Grant dans une scène de mauvais porno amateur qui ne donne même pas envie de remercier Jacquie et Michel.

Revenons sur l'histoire, qui avait pourtant du potentiel. Lors de fouilles près d'une ferme-auberge, un étrange crâne de serpent géant en plastique est déterré par l'étudiant en archéologie Angus Flint alias Henri en VF.
(Petite parenthèse à ce stade : Oui, j'ai regardé ce film en VF car tant qu'à s'infliger un nanar, il faut le faire jusqu'au bout. Outre les doublages catastrophiques, la VF, de manière assez inexplicable, change le nom du personnage en Henri Flint, et réussit même l'exploit de ne pas le faire correctement : dans la deuxième partie du film, une réplique à son propos l'appelle Angus, avant de revenir à Henri comme si de rien n'était...)
Au fil de l'histoire, on apprend pêle-mêle que l'emplacement fouillé est celui d'un ancien couvent, que la ferme-auberge est tenue par deux sœurs, Marie et Eve, dont les parents ont mystérieusement disparu l'année dernière mais dont on vient de retrouver la montre, que le tout se trouve sur les terres de Lord James D'Ampton (qu'on est tenté d'appeler Lord Beaugosse tellement il ne sert à rien à part faire le beau gosse ; vous l'aurez deviné, c'est Hugh Grant) et que la légende familiale raconte qu'il y a plusieurs siècles, un ancêtre de ce lord a sauvé son peuple en tuant le "Serpent d'Ampton" également surnommé le "Ver Blanc".
On devine très rapidement que le serpent en question n'est pas tout à fait mort et qu'il va refaire son apparition. Comme dans le roman original, sa résurrection sera l’œuvre d'une venimeuse lady vivant non loin de là, la comtesse Sylvia Marsh, sorte de dominatrice nymphomane et immortelle, elle-même à moitié serpent, ce qui lui permet d'avoir des crochets de vipère et de cracher du venin qui selon les besoins du scénario, est soit seulement hallucinogène, soit capable de transformer ses victimes en sortes de goules-serpents.
Après une première partie franchement poussive, où la seule avancée du scénario est que la comtesse s'empare du crâne de serpent, et où entre deux scènes d'hallucinations vaguement pornos, les personnages principaux tournent en rond, pas du tout aidés par des personnages secondaires insignifiants qui ont l'air de jouer sous LSD tellement ils ne sont pas convaincus par leurs propres répliques, l'action finit enfin par démarrer. Angus/Henri et Lord Beaugosse comprennent que le serpent géant est bien réel et que la clé du mystère se situe chez Lady Sylvia. Comment le devinent-ils ? Parce qu'elle adore jouer au jeu du serpent, pardi !
Je vous jure, entre autres explications sans queue ni tête, c'est vraiment comme ça qu'ils se mettent sur la voie... - Par Tim Green from Bradford (facepalm) [CC BY 2.0  (https://creativecommons.org/licenses/by/2.0)], via Wikimedia Commons
Ici se situe le moment où on passe de la gêne au rire, avec un grand numéro de charmeurs de serpents en deux actes. Premier acte : Lord Beaugosse attire à lui les serviteurs du serpent en plaçant sur le toit de son château des enceintes géantes diffusant une musique de charmeurs de serpents turcs. Dans une vaine tentative de recréer l'exploit de son ancêtre (ou d'imiter Highlander, rien n'est moins sûr à ce stade), il parvient à couper un des monstres en deux, mais ce n'est que la mère de Marie et Eve, changée en fidèle goule-serpent par Lady Sylvia. Cette dernière court toujours, parvient à couper la musique et à enlever Eve car elle a besoin d'une vierge à sacrifier pour faire revenir le dieu serpent.
(Ce qui constitue au passage encore une erreur grossière de scénario, puisqu'au début du film, Eve et Lord Beaugosse se vantent d'avoir passé une nuit agitée. Si Eve est vierge à ce stade de l'histoire, je suis bonne sœur...)
Deuxième acte, sans doute le plus croustillant : alors que Lord Beaugosse est parti en vadrouille pour une raison peu claire, c'est au tour d'Angus/Henri de s'introduire chez Lady Sylvia pour libérer ses victimes et mettre un terme à ses agissements. Comme il est écossais et qu'apparemment il était nécessaire de le souligner, il arrive en kilt, et armé d'une cornemuse qui lui permet d'immobiliser un policier changé en goule-serpent avant de se faire prendre au piège (et mordre à la cuisse) par la comtesse.
Ma réaction à chaud sur Twitter pendant le visionnage de cette scène. A froid, ce n'est pas beaucoup mieux.
On arrive donc à ce qui est censé être le point culminant du film, le sacrifice de la vierge (ou pas) au dieu serpent, où on arrive à sentir que le réalisateur manquait de pellicule ou n'en avait plus rien à faire, puisque moins de cinq minutes après l'apparition depuis les profondeurs infernales du serpent géant en caoutchouc, Angus/Henri (qui a perdu ses lunettes au passage, mais ça n'a pas l'air de l'empêcher d'y voir) a eu le temps de se réveiller de sa torpeur, de libérer Eve en faisant tomber Lady Sylvia dans la fosse à sa place, et même de lancer une grenade dans la gueule du monstre afin de faire bonne mesure et d'ajouter ce qui manquait encore à ce film pour être un nanar complet : des trucs qui explosent !
Je découvre au passage qu'un Écossais peut dissimuler sous son kilt : une seringue de sérum, une mangouste vivante, une épée courte et une grenade... - Pas d’auteur identifié. Artifex supposé (étant donné la revendication de droit d’auteur). [Domaine public], via Wikimedia Commons
On pourrait penser que c'est la fin et que Lord Beaugosse (qui prenait tranquillement un café pendant que son camarade montait au front, c'est beau la solidarité) et Angus/Henri vont rentrer chez eux et pécho au passage les deux sœurs, mais il n'y a pas de bon nanar sans un mauvais plot twist : à la dernière minute, Angus/Henri apprend par l'hôpital que le sérum qu'il s'était injecté pour résister aux morsures de serpents était inefficace, et il va donc se changer à son tour en goule-serpent et mordre Lord Beaugosse. Malheureusement, on ne verra pas cette dernière partie car le réalisateur, visiblement pressé de partir, a décidé à ce stade de tout couper et de lancer le générique, une musique folklorique pas du tout en raccord avec l'aspect dramatique de la fin.

Ainsi se termine Le Repaire du ver blanc, nanar jusqu'au bout aux relents d'abus de drogues, d'idées mal exploitées et de fautes de goût des années 80. Si l'envie vous prend de jouer avec votre santé mentale et/ou de savoir où Hugh Grant et Peter Capaldi ont commencé leurs carrières (heureusement, ils sont tous les deux allés très loin depuis), le film n'est pas difficile à trouver en streaming et peut faire passer quelques bons moments aux amateurs de nanars.

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