Qui, en côtoyant de près ou de loin l'écriture, n'a jamais entendu cette phrase ?
Dès le XVIIe siècle, La Bruyère écrivait pourtant : "C'est un métier de faire un livre comme de faire une pendule". Mais rien n'y faisait, à cette époque comme maintenant, les fabricants de pendules gagnaient quand même en moyenne plus que les auteurs. Les droits d'auteurs n'existaient même pas encore tels qu'on les connaît aujourd'hui : les auteurs devaient vendre leur manuscrit avec ses droits au libraire-imprimeur (les grands groupes d'édition n'existaient pas et les libraires de l'époque cumulaient donc souvent les deux fonctions) qui empochait alors tous les bénéfices de la vente du livre. N'échappaient à ce régime que quelques privilégiés au sens propre du terme, comme Molière qui, grâce à l'appui du roi Louis XIV, voyait ses ouvrages imprimés avec privilège du Roy, ce qui lui garantissait une part des revenus de ses pièces imprimées. C'est de ce privilège que vient le terme de royalties encore bien connu de nos jours.
Cependant le métier d'écrivain était peu considéré, et à cause des faibles revenus qu'il générait, il valait mieux être déjà riche et oisif pour se lancer dans l'aventure. Car vendre les droits de son manuscrit à un imprimeur pouvait être risqué, et même des auteurs célèbres en ont connu les affres : ainsi Jane Austen, à ses débuts dans l'écriture, avait vendu à l'éditeur Benjamin Crosby les droits d'un manuscrit qui devait devenir par la suite Northanger Abbey. Mais malgré la promesse de l'imprimeur de publier rapidement le livre, celui-ci dormit ensuite dans ses tiroirs, sans être publié. Quand Jane Austen commença à connaître le succès avec Raison et Sentiments ou Orgueil et Préjugés, elle voulut republier également ce livre, mais en ayant vendu les droits, elle ne pouvait plus les utiliser même si l'imprimeur n'en faisait pas non plus usage. Elle ne put se sortir de l'affaire qu'en rachetant les droits, avec l'aide financière de ses frères Edward et Henry car elle n'en avait pas elle-même les moyens - elle cumulait deux traits considérés comme des tares à l'époque, celui d'être écrivain et celui d'être une femme seule...
On pourrait croire que les améliorations de la loi sur les droits d'auteur, qui reconnaissent aux auteurs des droits inaliénables sur leurs œuvres et donnent désormais aux éditeurs certaines obligations, notamment verser une part des revenus d'un livre à l'auteur, auraient dû entraîner plus de considération envers le travail de l'écrivain. Et pourtant, à part quelques vedettes qui vivent de leur plume et qu'on accuse régulièrement - à tort ou à raison, là n'est pas le propos - de produire de la mauvaise qualité industrielle, être un écrivain relève presque toujours d'une activité "annexe", qui ne rapporte pas grand-chose quand elle a la chance de rapporter de l'argent, mais attire en revanche inéluctablement la remarque "et sinon, ton vrai métier ?..."
Notons qu'il y a de nombreux métiers en lien avec la littérature, mais que seul l'auteur a droit à ce traitement particulier. Chez les éditeurs, tout le monde, du grand patron à l'ouvrier qui graisse les rotatives, est considéré comme ayant un "vrai" métier. Mais pas l'auteur.
Il y a forcément un lien entre ce manque de considération et le fait que le travail d'auteur rapporte aussi peu. Mais lequel est la cause de l'autre ? Qui est arrivé en premier, l’œuf ou la poule, la poule ou l’œuf ? Difficile de le déterminer.
Toujours est-il que malgré toutes les évolutions du statut d'auteur et des droits associés, il règne toujours dans l'opinion courante un certain mépris pour les auteurs et leurs gains. Il n'est pas rare de voir fleurir dans des commentaires de blogs ou sur des forums des remarques du genre "les auteurs devraient s'estimer heureux de toucher quelque chose", sans doute exacerbées par certaines affaires de réclamations abusives de droits d'auteur. Sauf que ces réclamations abusives sont rarement le fait des auteurs eux-mêmes, mais plutôt des éditeurs ; logique, au fond, puisque ce sont ces derniers qui gagnent le plus d'argent sur une œuvre...
Et s'il n'y avait que l'aspect financier, ce ne serait peut-être pas si grave. Mais le qualificatif d'écrivain, n'étant pas un "vrai" métier, se décline à toutes les sauces, n'importe qui se présentant comme écrivain pour avoir rédigé quelques lignes mal écrites. Si vous ne me croyez pas, essayez de le faire, puis essayez de vous prétendre comptable après avoir fait les comptes personnels d'un ami sur Excel... Dans quelle situation serez-vous le plus cru ?
Vous l'aurez compris, cette situation m'énerve. Et pourtant, il y a peu, j'y ai au moins trouvé une fois un aspect positif. Mon contrat de travail, en effet, m'interdit d'avoir une autre activité professionnelle que celle pour laquelle j'ai été engagée. Mais comme écrivain n'est pas un "vrai" métier, cette clause ne m'empêche pas de publier mes livres...
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