lundi 11 juillet 2016

"Les Cinq Cents Millions de la Bégum" de Jules Verne

On connaît de Jules Verne Le Tour du monde en quatre-vingt jours, Voyage au centre de la Terre ou encore De la Terre à la Lune, mais Les Cinq Cents Millions de la Bégum ne figure pas parmi ses romans les plus connus, peut-être à tort.
Pour commencer, le titre est trompeur : la Bégum Gokool et ses millions ne sont en fait évoqués que dans les tout premiers chapitres. Son héritage revient d'abord tout entier à un médecin français philanthrope, le docteur Sarrasin, jusqu'à ce que le professeur Schultze, un Allemand convaincu le la supériorité de la "race germanique" sur la "race française", ne réclame les millions en se prévalant de sa grand-mère française, sœur du dernier mari de la Bégum. L'héritage est finalement divisé en deux parts égales entre les deux hommes, et quand le docteur Sarrasin déclare vouloir utiliser sa nouvelle fortune pour construire une ville idéale dont les habitants vivront mieux et plus longtemps, le professeur Schultze, de son côté, construit une ville-usine nommée Stahlstadt, "la cité de l'acier", véritable camp de travail pour volontaires organisé autour de la figure dictatoriale de Herr Schultze, dans une structure que les Nazis n'auraient pas reniée bien que le roman date de 1879, bien avant les deux guerres mondiales.
L'histoire devient alors un véritable roman d'espionnage : un ami du docteur Sarrasin se fait embaucher à Stahlstadt sous un faux nom, en découvre les rouages, et comprend que Stahlstadt est en fait créée dans un unique but : détruire France-Ville, la cité idéale du docteur Sarrasin. On est presque dans un James Bond avant l'heure : un grand méchant entre le génie du mal et le savant fou (bien que le "savant" commette quelques grossières erreurs de calcul qui lui seront fatales) construisant une base tarabiscotée dans le seul but de détruire ses ennemis, et qui révèle même son plan au héros, sûr que ce dernier ne s'en sortira pas vivant de toute façon (et c'est évidemment à ce moment que le héros s'évade de manière audacieuse)...
On notera quand même que les choses ne sont pas toutes blanches au niveau de France-Ville, où la dictature d'un homme est remplacée par les diktats hygiénistes, allant jusqu'à indiquer ce qui est autorisé ou interdit dans les maisons au nom de l'hygiène et de la santé publique. Les habitants sont également tenus d'avoir une profession "utile" (notons quand même que les professions artistiques sont considérées comme utiles, ce qui n'est pas toujours le cas) et les "existences oisives" ne sont pas tolérées dans cette fourmilière humaine. Le racisme s'y manifeste aussi quand on apprend que les travailleurs chinois ayant aidé à la construction de France-Ville sont renvoyés à la fin des travaux pour qu'ils ne se mélangent pas à la population française. Même si la situation devait être moins choquante dans les années 1880 où on croyait fermement aux fameuses "quatre races" humaines, cette interdiction, dans une cité qui s'oppose à Stahlstadt, la ville qui veut prouver la supériorité de la race allemande sur la race française, fait rire "jaune"... Cela permet en tout cas de nuancer le manichéisme qui aurait pu régner sur Les Cinq Cents Millions de la Bégum, et d'en faire une lecture divertissante autant qu'une réflexion sur les idéaux de cette époque.
Illustration de couverture par Léon Benett, 1879 [Domaine public], via Wikimedia Commons - Cliquez ici pour lire et télécharger le texte

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