Avant de me lancer dans les multiples livres que j'ai reçus pour Noël, j'ai brièvement repris ma liseuse que j'avais un peu délaissée, avec quelques œuvres d'Oscar Wilde notamment.
Le portrait de Monsieur W.H. et autres nouvelles est en fait un assemblage hétéroclite de nouvelles, poèmes en prose et essais de Wilde, allant du célèbre
Fantôme de Canterville à des œuvres plus obscures. Malgré l'encodage un peu aléatoire (réalisé par le projet Gutenberg, mais j'évite de trop me plaindre, quand quelque chose est gratuit et visiblement fait automatiquement, il ne faut pas forcément s'attendre à une qualité irréprochable), l'ensemble est facile à lire et chacun des éléments est très intéressant à sa manière, en particulier ceux qui trouvent un étonnant écho dans le monde contemporain malgré leur écriture datant de plus d'un siècle. Voici donc le contenu :
- Le Portrait de Monsieur W.H. : à ne pas confondre avec le Portrait de Dorian Gray du même auteur, cette histoire raconte la recherche de l'identité du mystérieux W.H. à qui seraient dédiés les Sonnets de Shakespeare, en présentant une analyse selon laquelle il s'agirait de Willie Hughes, un jeune acteur dont Shakespeare aurait été amoureux. Problème : rien n'atteste de l'existence de l'acteur en question, mais les défenseurs de cette théorie en sont tellement convaincus qu'ils décident de fabriquer une preuve avec un portrait soi-disant retrouvé par hasard. Un étonnant processus mental prend alors place parmi les protagonistes : même en sachant la preuve fausse, certains finissent par se convaincre de l'existence de Hugues au point de vouloir mourir pour défendre leur thèse (mais comme dit l'un d'eux, ce n'est pas parce qu'on veut mourir pour une idée que ça la rend vraie) tandis que d'autres commencent à ne plus savoir où se trouve la vérité et le mensonge... A notre époque de fake news et d'opinions de plus en plus radicalisées, cette histoire interpelle particulièrement sur la fabrique des preuves et les biais cognitifs qui lui sont liés, en plus de faire découvrir les Sonnets de William Shakespeare.
- Le fantôme de Canterville : peut-être l'histoire la plus connue de ce recueil, celle d'un fantôme aux manières théâtrales hantant un manoir anglais et d'une famille américaine très matérialiste qui, bien loin de craindre le fantôme, le ridiculise. L'histoire de fantôme classique est traitée ici d'un point de vue humoristique, où le revenant épuise son répertoire d'apparitions macabres sans jamais être pris au sérieux, et elle ne redevient sérieuse que quand il se voit contraint d'abandonner ses "rôles" et dévoiler sa propre souffrance pour obtenir ce qu'il cherchait au fond depuis le début : de l'aide.
- Le Millionnaire modèle : encore une histoire que j'avais découverte, comme Le crime de Lord Arthur Savile, par une adaptation en BD dans I Love English. L'histoire d'un jeune homme qui n'a pour lui que son charme et sa gentillesse mais ne sait rien faire, et qui pourtant, obtient ce qu'il désire en venant en aide à un mendiant qui se révèle être un millionnaire déguisé. Un conte de fées moderne traité encore une fois avec un certain humour.
- Le Sphinx sans secret : une autre histoire courte sur le thème des femmes, bien souvent considérées par les hommes comme un mystère. Un homme a des vues sur une femme, mais la voyant s'aventurer dans un quartier mal famé et le nier ensuite, il commence à soupçonner un terrible secret, mais n'est-ce pas ce qui fait tout son charme, et qu'arrive-t-il quand on découvre que derrière ce secret inavouable, il n'y a peut-être que du vent ? Malgré des relents de misogynie, cette histoire trouve elle aussi un écho dans le monde contemporain où tout est bâti sur les apparences et où il devient courant de s'inventer une vie quand on trouve la sienne sans intérêt.
- Poèmes en prose : un petit recueil de pièces courtes, souvent sur le thème des Évangiles, mettant notamment en scène les doutes des apôtres, ou même ceux de Dieu retournant sur terre pour découvrir que ses miracles n'ont pas eu tout à fait l'effet escompté.
- L'âme humaine sous le socialisme : un essai de 1891 en réponse à la révolution industrielle en marche et à la montée du socialisme en Europe. Très rapidement, on oublie que ce texte date de la fin du XIXe siècle tant les questions qu'il aborde sont d'actualité : les inégalités inhérentes à une société capitaliste, le remplacement du travail de l'humain par celui de la machine (doit-il condamner l'humain à la misère faute de travail, ou le revenu de la machine devrait-il permettre à l'humain de vivre libéré de la contrainte du travail ?), la nécessité de combattre l'oppression par la révolution, l'accomplissement de la vie humaine débarrassée de la notion de propriété privée ("vous n'êtes pas votre carte de crédit" dira-t-on dans Fight Club une centaine d'années plus tard...), les dérives du journalisme sensationnaliste et de la presse à scandale... Il paraît dérisoire de qualifier des auteurs contemporains de visionnaires quand cet essai semble aussi moderne plus d'un siècle après son écriture, ce qui prouve aussi que les problèmes qu'il évoque sont connus depuis longtemps et n'ont pas encore de réponses définitives. En tant qu'artiste, Oscar Wilde se concentre sur l'humain et sur la possibilité que chacun devrait avoir selon lui de s'exprimer par l'art, en évitant autant que possible les oppressions, mais il est difficile de s'en défaire, surtout pour les oppresseurs.
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Oscar Wilde, visionnaire - Par Napoleon Sarony [Domaine public], via Wikimedia Commons |
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