Cette relecture, démarrée à l'occasion de l'annonce de la nouvelle version du Bossu de Notre-Dame de Disney, ne m'emmenait donc pas en terre inconnue. C'est une histoire qui a pour lieu Paris la belle en l'an de Dieu mil quatre-cent quatre-vingt deux... On découvre d'abord le Paris du XVe siècle à travers le regard de Pierre Gringoire, poète et philosophe auteur d'une pièce dont il est très fier, mais qui est moquée par les dignitaires flamands auxquels elle était destinée, puis abandonnée par tout son public au profit de "la Esmeralda", une danseuse bohémienne qui se produit sur les places publiques et constitue l'attraction populaire du moment.
Ce n'est que l'introduction, mais qui laisse entendre que dans tout le reste de l'histoire, beaucoup de choses vont être liées à la belle Esmeralda (qui est finalement assez peu appelée par son nom, mais plus souvent désignée comme "l'égyptienne" ou "la danseuse"... et cela fonctionne, tout le monde, personnages comme lecteur, sait de qui il s'agit). Et ce même, et surtout, au fil des changements de points de vue narratifs : après Gringoire, on suit le "Bossu de Notre-Dame" Quasimodo, mais surtout son maître et père adoptif Claude Frollo, ainsi que le capitaine Phoebus de Chateaupers ; tous s'intéresseront à la belle gitane d'une manière ou d'une autre.
Esmeralda, l'envoûtante bohémienne - Internet Archive Book Images [Domaine public], via Wikimedia Commons |
Ce dernier, bien qu'il ait de bonnes raisons d'être le "méchant" de l'histoire, est quand même un peu plus subtil que son équivalent Disney. Intéressé tout d'abord par les sciences et notamment l'alchimie, il fait également preuve d'affection envers son jeune frère (qui ne le lui rendra guère) et envers Quasimodo, qu'il décide lui-même d'adopter et avec qui il est le seul à pouvoir communiquer. Tout bascule pour lui quand malgré sa haine des Bohémiens, il s'éprend d'Esmeralda ; amour impossible, d'abord parce qu'il est prêtre, ensuite parce que la belle ne jure que par Phoebus et le fera jusqu'au bout, alors même que ce dernier aura prouvé qu'il ne mérite pas tant d'attachement.
Croyant pouvoir conquérir Esmeralda, Frollo s'enfonce en réalité un peu plus dans l'abîme à chaque fois : il poignarde Phoebus et laisse la gitane être accusée du crime, puis tente plusieurs fois de la sauver mais elle le repousse, préférant la mort à lui. Ne pouvant envisager qu'elle puisse être heureuse sans lui, il se décide finalement à l'abandonner à son sort dans l'espoir de se sauver de la damnation. Sur ce point, la version Disney suit exactement les sentiments du personnage original en le faisant chanter "Détruis Esmeralda, qu'un rideau de feu soit son linceul, ou faites qu'elle soit à moi et à moi seul" !
Tout au long de cette descente aux enfers dans laquelle il entraîne tout le monde, Frollo accuse la fatalité sans jamais se remettre en cause : c'est le démon, la sorcière qui l'ont possédé et provoqué. Ses mauvaises actions finissent cependant par se retourner contre lui quand Quasimodo assiste à l'exécution d'Esmeralda et comprend que son propre maître en a été à l'origine.
Mais si l'histoire s'intitule Notre-Dame de Paris, c'est aussi pour rappeler que le Paris du XVe siècle est un personnage de l'histoire à part entière, personnage sans doute le plus complexe avec son architecture longuement décrite dans des chapitres entiers, ses juges indifférents au sort des condamnés, son roi cruel et capricieux, et surtout son peuple versatile, qui applaudit à tout rompre les danses d'Esmeralda et les grimaces de Quasimodo un jour, et les laisse condamner le suivant. Un Paris, d'une certaine manière, pas si différent de celui d'aujourd'hui, théâtre d'un grand classique à lire absolument.
Esmeralda et Quasimodo, frontispice de l'édition de 1831 - Charles Gosselin : Victor Hugo Notre-Dame de Paris Tony Johannot 1831 [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons |
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