mercredi 13 octobre 2021

"La Fin d'Illa" de José Moselli

La Fin d'Illa n'est pas tout à fait une lecture, mais plutôt une relecture, qui remonte à longtemps. J'étais encore adolescente quand je l'ai lue en dévorant la collection de livres de science-fiction de mon père. Son édition de La Fin d'Illa faisait partie de la collection Chefs d'oeuvre de la science-fiction publiée en 1970 par les éditions Rencontre (il en avait les 7 premiers livres, dont l'étonnant Martiens, go home !). Depuis, j'avais un peu oublié ce livre, je suis retombée dessus par l'intermédiaire de Wikipédia, à l'occasion de l'obtention du label "bon article" par l'article sur ce livre.

Pour moi, la couverture de La Fin d'Illa ressemblera toujours à ça... Editions Rencontre, collection "Chefs-d'oeuvre de la science-fiction", 1970

La Fin d'Illa est un roman court publié en 1925 par Joseph "José" Moselli, ex-marin devenu écrivain de policier et de science-fiction. Comme beaucoup de ses oeuvres, il l'a écrit sous forme de feuilleton ou de "roman à épisodes", pour le magazine Sciences et Voyages. Cela se ressent dans le style, il n'y a ni temps morts ni fioritures dans son écriture, et La Fin d'Illa pourrait presque candidater pour devenir une série sur Rocambole, si elle n'était pas marquée par un certain état d'esprit du début du XXe siècle qui ne passerait pas bien en 2021.

José Moselli, donc, est un écrivain prolifique des années 1910 et 1920, qui est cependant presque inconnu de nos jours. Peut-être était-il arrivé au mauvais moment, mais La Fin d'Illa est parfois décrite comme "le roman qui sonna le glas de la science-fiction en France". En effet, après une vague de "merveilleux-scientifique", les écrivains de l'imaginaire en général et ceux de Sciences et Voyages en particulier ont dû faire face à une montée des critiques de la part de l'église qui accusait la science-fiction de "pervertir l'imagination et l'intelligence des enfants" (sic) et a même intenté un procès au magazine. Après cela, les écrivains et éditeurs ont été peu à peu découragés de publier de la science-fiction à commencer par José Moselli lui-même.

La Fin d'Illa a cependant été redécouverte par la suite, et bien que le livre n'ait jamais renoué avec la célébrité, il a remporté un certain succès critique, notamment par certains aspects considérés comme prophétiques de la montée du nazisme dans les années 1930. En effet, coïncidence ou pas, les noms du tyran d'Illa, Rair, et de son âme damnée Limm, évoquent étrangement les leaders de l'Allemagne nazie, Hitler et Himmler. Le roman lui-même décrit la montée du totalitalisme dans un endroit imaginaire mais symbolique du monde réel, comme le précise le sous-titre d'une réédition de 1972 chez Marabout : Le règne de l'abrutissement et de la terreur.

Editions Marabout Science-fiction, 1972. A la même époque, ils éditaient aussi les aventures de Bob Morane.
Le titre et le prologue du livre nous indiquent sans doute possible son dénouement : la destruction d'Illa, cité antique rappelant le mythe de l'Atlantide. Ce n'est qu'à travers les mémoires de Xié, chef des armées d'Illa, que l'on découvrira comment et pourquoi.

Selon Xié, Illa est une cité technologiquement très avancée où il fait bon vivre. Cependant, le bonheur et le confort de ses habitants reposent sur l'esclavage des hommes-singes, et surtout sur la complète soumission des Illiens à leur dirigeant Rair, à la fois inventeur génial et tyran cruel et froid, décrit par Xié comme un cerveau pareil à une machine à calculer, sans coeur ni nerfs. Officiellement, Illa est dirigée par un "Conseil suprême", mais Rair sait bien que la plupart de ses membres lui mangent dans la main, car ils sont tous dépendants de ses "machines à sang", qui utilisent le sang d'animaux pour nourrir directement les Illiens par ondes et qui leur ont fait perdre le goût de la nourriture solide. Quand Rair annonce sans trembler qu'il va déclarer la guerre à la cité voisine de Nour pour pouvoir alimenter ses machines avec du sang humain et améliorer leur efficacité, personne ou presque ne bronche. Xié fait partie des protestataires, qui vont peu à peu s'organiser en une résistance décidée à arrêter Rair, mais sans savoir comment l'atteindre alors que ses espions, dirigés par son bras droit Limm, sont partout, et que la guerre contre Nour va les contraindre à rentrer au moins en partie dans les rangs pour défendre Illa.

L'opposition entre Xié et Rair est au coeur de l'histoire, et bien des rebondissements gravitent autour des ambiguités de cette opposition. Xié hait Rair et le tient pour responsable du basculement d'Illa dans la guerre, mais ne peut s'empêcher d'admirer son intelligence et son sens de la stratégie ; de son côté, Rair aimerait bien se débarrasser de Xié mais le considère comme indispensable pour mener à bien la guerre contre Nour. De plus, une tragédie à la Roméo et Juliette vient s'ajouter au milieu de tout cela : Silmée, la fille unique de Xié, et Toupahou, le petit-fils de Rair, sont amoureux l'un de l'autre. Toupahou n'aime guère son grand-père non plus, mais n'ose pas l'affronter, sachant que Rair n'aura pas plus de pitié pour un membre de sa famille que pour un autre. Rair, qui est parfaitement au courant de leur relation, n'hésitera d'ailleurs pas à utiliser les tourtereaux comme otages ou comme moyen de pression pour contraindre Xié à faire sa volonté. Ainsi, dès le début de l'histoire, Silmée échappe de peu à un attentat qui s'avère fomenté par Limm. Début de XXe siècle oblige, ce personnage restera malheureusement cantonné à un rôle de "demoiselle en détresse".

Xié, de son côté, n'a rien du héros parfait. L'auteur remarque avec une certaine ironie que la modestie ne fait pas partie de ses qualités, mais c'est loin d'être sa seule faille. Xié se considère supérieur aux autres mais il est lui aussi un produit de son "époque" : bien qu'il critique avec virulence (et à raison) les plans de Rair, il est tout aussi dépendant que les autres à ses "machines à sang" et méprise ouvertement ceux qui utilisent encore les nourritures terrestres, jusqu'à ce qu'il soit obligé de le faire à son tour. Son mépris s'étend plus globalement aux hommes-singes esclaves d'Illa, même lorsqu'il s'allie avec eux et organise leur révolte dans les mines : celle-ci apparaît plus comme une manoeuvre de sa part qu'une véritable volonté de les libérer ou d'améliorer leur condition. Bien qu'il reconnaisse parfois ses erreurs, sa colère envers Rair, ainsi que la perte de sa famille et de ses amis, le consume de plus en plus au fil de l'histoire, et l'amène à détruire lui-même Illa où il considère que plus personne n'est innocent ou ne mérite d'être sauvé. Il ne faut pas s'attendre à une victoire du bien sur le mal à la fin de La Fin d'Illa, c'est une histoire sans véritable morale.

En parlant de la fin, je ne sais pas si c'est l'effet feuilleton, mais la fin de l'histoire s'emballe. La narration déjà sans temps morts enchaîne les péripéties de plus en plus vite, quitte à passer de manière vraiment trop succincte, parfois en une seule phrase, sur des événements qui auraient gagné à être un peu plus développés. Là où des adaptations de livres en films comme Dune sont obligées d'élaguer des choses pour garder un film compréhensible et d'une durée raisonnable, je pense que si quelqu'un tentait d'adapter La Fin d'Illa en film, il faudrait au contraire ajouter ou insister davantage sur certains passages dans la seconde partie. Après avoir accroché aux aventures de Xié, la rapidité de cette fin, qui aurait pu être grandiose si elle avait été un peu étoffée, est décevante, et on abandonne d'autant plus à regret Xié et Illa à leur fin inéluctable.

"Illa's End", traduction en anglais publiée en 2011. A quand le film ?

La Fin d'Illa a connu des péripéties, mais étrangement, sans jamais sombrer totalement dans l'oubli, et le livre est régulièrement redécouvert, comme le sont, dans l'histoire, les confessions de Xié. Ce roman de science-fiction français a été traduit en anglais par l'auteur britannique Brian Stableford en 2011, soit 86 ans après sa publication initiale : mieux vaut tard que jamais !

Et pourquoi pas un film ? Soyons réalistes, avec l'histoire et le succès du livre, il y a très peu de chances que ça se fasse, mais ce ne serait pas la première fois qu'une vieille histoire de SF est adaptée au cinéma, et il y a tous les ingrédients d'un bon film hollywoodien : des méchants très méchants, une guerre, des explosions partout, et à la fin, tout le monde meurt... Donc, au cas où ça intéresserait quelqu'un, j'ai déjà fait mon casting :

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