lundi 13 mai 2019

"Dôme" de Stephen King

Stephen King affirme qu'il a abandonné ce livre en cours de route et qu'il a fallu beaucoup de temps pour qu'il s'y remette. Il a bien fait de ne pas baisser les bras, car Dôme est une belle réussite, un livre qu'on ne peut pas poser avant la fin malgré sa longueur (qui a fait diviser l'édition française en deux tomes).
L'histoire commence, comme souvent, dans une paisible petite ville du Maine sans histoires, Chester's Mill, qui en un instant, sans avertissement ni explications, se retrouve coupée du reste du monde par une barrière invisible. Militaires et scientifiques s'avouent impuissants à comprendre le "Dôme", et tout autant à l'ouvrir ou le détruire pour libérer la ville. Les habitants retiennent leur souffle en attendant une solution...
Enfin, pas tous : James "Big Jim" Rennie, conseiller municipal corrompu et vendeur de voitures d'occasion aux allures de Donald Trump, voit là une occasion en or de tenir la ville sous sa coupe. Car Big Jim a de l'argent, beaucoup d'argent mal acquis grâce à ses voitures d'occasion, mais surtout grâce au laboratoire de drogue secret qu'il dissimule derrière la radio chrétienne WCIK et le pasteur fanatisé Lester Coggins. Mais ce qui intéresse Big Jim, c'est le pouvoir, et voir que plus personne ne peut entrer dans "sa" ville ni en sortir lui donne l'idée d'y exercer le pouvoir absolu.
Dôme met en lumière la rapidité avec laquelle Big Jim met la main sur Chester's Mill. Il s'empare facilement de la police, envahie par des nouvelles recrues qui sont pour la plupart des losers désireux de prendre leur revanche sur les "injustices" que la vie leur a faites, et utilise les petits secrets des uns et des autres pour les faire taire, à commencer par les autres conseillers municipaux, trop lâches pour le contester ou trop affaiblis par les médicaments et la situation, qui sont donc ravis de le laisser tout gérer. Et il gère, avec cette stratégie particulière que les spécialistes des dictatures reconnaîtront : semer la peur et le chaos pour se présenter ensuite comme la seule alternative.
Les adversaires de Big Jim existent, en premier lieu l'ancien officier Dale "Barbie" Barbara, doté d'un sens aigu de la justice mais qui traîne la culpabilité d'exactions commises en Irak, cause de sa démission de l'armée. Lors de l'apparition du Dôme, cependant, Barbie est réintégré d'office avec le grade de colonel, et chargé de prendre la direction des opérations à l'intérieur de la ville. Direction qu'il ne pourra jamais prendre, car sa nomination fait de lui le bouc émissaire tout désigné pour Big Jim, d'abord parce qu'il représente le gouvernement et ses "élites" avec toutes les théories du complot qui vont avec, ensuite parce que Big Jim a un compte personnel à régler avec Barbie à travers son fils Junior, le fils à papa qui se croit tout permis mais ne sait pas qu'il a déjà perdu face à la tumeur qui lui ronge le cerveau.
Très vite, la ville se divise en deux entre "la loi et l'ordre" de Big Jim et la résistance dont Barbie devient le symbole malgré lui, et chaque tentative ratée de l'armée pour détruire le Dôme renforce encore plus les premiers dans leurs convictions que le monde entier est contre eux. Les seconds, pour leur part, ont avant tout pour objectif de survivre, et comprennent vite que le seul espoir, alors que la situation dégénère un peu plus chaque jour, est de trouver l'origine exacte du Dôme pour le faire disparaître.
Avec un seul phénomène paranormal (mais d'envergure), le roman est avant tout un excellent thriller psychologique, où on regarde les côtés les plus sombres de la nature humaine remonter à la surface et transformer en enfer une petite ville "paisible" dès qu'un événement choquant fait voler les apparences en éclats. Il est aussi beaucoup question de la facilité avec laquelle le totalitarisme peut s'ancrer dans le pays des "défenseurs de la liberté" (et le contexte politique actuel en rend la lecture encore plus intéressante). Mais au-delà de tout cela, c'est une analyse de l'origine du mal qui a lieu sous le Dôme et aussi en-dehors : on a beau dire que "les méchants, c'est pas nous", il est facile de faire le mal en se persuadant qu'on aide les gens malgré eux, ou en ne sachant pas (voire en ignorant délibérément) qu'ils peuvent souffrir.
Ce qui se passe sous le Dôme reste sous le Dôme... - Par Phoenix Han from Beijing, China [CC BY-SA 2.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0)], via Wikimedia Commons

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