lundi 25 mai 2015

Ludwig Revolution

Si les contes de votre enfance ont laissé en vous l'impression d'un monde idéal, reflet de l'époque où vous croyiez encore aux fées et au Père Noël, ne lisez surtout pas ce qui suit.
En effet, dans Ludwig Revolution, la célèbre mangaka japonaise Kaori Yuki, auteur de best-sellers comme Angel Sanctuary ou God Child, prend un malin plaisir à démonter les contes des frères Grimm en les prenant à rebours (les héros devenant des méchants) ou en les replaçant dans un contexte décalé. Le fil conducteur de l'histoire est le prince Ludwig ou Louis (Ludwig étant le second prénom de Jacob Grimm) qui parcourt son royaume à la recherche d'une princesse à son goût, c'est-à-dire selon ses propres mots "une bombe à gros seins". Ludwig est loin d'être le prince charmant qu'on se représente, il est dragueur et sadique, et ce penchant est encouragé par le masochisme de ses compagnons de voyage, son valet Wilhelm (Wilhelm Grimm) et la mystérieuse sorcière Dorothéa.
Les princesses qu'il rencontre ne sont pas non plus des figures idéales : ainsi, Blanche-Neige est une femme fatale "au cœur aussi noir que les ténèbres" qui fait assassiner sa propre mère, Raiponce est colérique et ses cheveux attaquent les hommes qui l'ont déçue, Albertina (La petite gardeuse d'oies) fait exécuter la princesse qu'elle accompagnait pour prendre sa place... Ludwig ne tombera d'ailleurs amoureux d'aucune d'entre elles, à l'exception de Friedrike, la Belle au bois dormant (également appelée "Princesse Ronce" d'après le titre allemand du conte) mais les cent ans qui les séparent l'empêcheront d'être uni à elle.
Pour couronner le tout, des assassins apparaissent à la poursuite de Ludwig et sa bande, avec des noms aussi célèbres que le Petit chaperon rouge, ou Hansel et Gretel, et des personnages secondaires plus tordus les uns que les autres, et dont beaucoup en veulent personnellement à Ludwig, se révèlent au fur et à mesure de l'histoire.
Le tout est ponctué de scènes décalées où des allusions à la culture moderne interviennent, où les personnages se rebellent contre la narration ou la commentent avec ironie, avant un final un peu trop embrouillé, malheureusement bâclé par la créatrice qui attendait alors un heureux événement (et qui le reconnaît elle-même dans la conclusion).
Depuis peu, une nouvelle série, Ludwig Fantasy, est née sur les cendres de Ludwig Revolution. Plus ouverte que la précédente, elle voit son premier tome "s'attaquer" à la célèbre Petite Sirène d'Andersen, puis au conte japonais de la Princesse Kaguya qui a également été récemment adapté par les Studios Ghibli.
Détail intéressant pour la culture, beaucoup des contes malmenés par Ludwig Revolution et Ludwig Fantasy sont disponibles à la fin des tomes dans une version un peu courte mais proche de l'original, une occasion de découvrir ou de redécouvrir des contes connus ou plus discrets.
Blanche-Neige et les sept nains vus par Carl Offterdinger à la fin du XIXe siècle [domaine public] ; la version de Ludwig Revolution est loin d'être aussi idyllique...

dimanche 17 mai 2015

Le langage des fleurs

Avec le moi de mai qui est déjà bien avancé, les fleurs s'ouvrent partout. Et parmi elles, les reines des reines, les roses.
J'ai cueilli dans mon jardin l'une d'entre elles, et je l'ai arrangée avec une branche d'églantier à la manière d'un ikebana japonais. Comme je n'ai jamais étudié cet art et que je n'ai pas non plus le matériel requis, cela ressemble probablement à tout sauf à un véritable ikebana, mais j'ai essayé de respecter l'esprit de cet art traditionnel qui permet d'exprimer la beauté de la nature et de la simplicité avec des choses plus naturelles que les mots : une fleur et quelques branches.
Est-ce que cela peut ressembler à un ikebana ? Hé bien, à vous de juger.
Rose et branche d'églantier à la manière d'un ikebana [CC-By-SA 4.0]

vendredi 15 mai 2015

La comtesse de Ségur

Si on évoque le nom de Sophia Fiodorovna Rostoptchina (1799 - 1874), on ne récoltera probablement que des regards incrédules. Mais qu'on donne son nom d'épouse, la comtesse de Ségur, et c'est tout un ensemble de souvenirs d'enfance qui risque de remonter : Les malheurs de Sophie, Les petites filles modèles, Les mémoires d'un âne sont trois classiques de la littérature enfantine, qui font partie des premières lectures de bien des enfants, surtout des filles pour les deux premiers.
La comtesse de Ségur vers 1841, par son fils Louis Gaston de Ségur [domaine public], via Wikimedia Commons
Rien d'étonnant à cela, puisque c'est pour amuser et instruire ses petits-enfants que la comtesse a commencé à écrire ses livres ; elle avait alors la cinquantaine. Son premier ouvrage, intitulé Nouveaux contes de fées pour les petits enfants, est le recueil des contes qu'elle inventait et racontait à ses petites-filles. Leur présence est d'ailleurs tangible, en particulier dans Les petites filles modèles, dont les héroïnes portent les mêmes prénoms que les deux petites-filles de la comtesse, Camille et Madeleine de Malaret. Quant à Sophie des Malheurs de Sophie, c'est tout simplement la comtesse elle-même qui s'inspire de son enfance.
Le thème des châtiments corporels est souvent mis en avant dans les oeuvres de la comtesse de Ségur, mais il est à noter que dans beaucoup de ses ouvrages, les personnages donnant des châtiments corporels sont présentés comme ridicules et détestables, comme Mme Fichini dans Les petites filles modèles ou Mme MacMiche dans Un bon petit diable. Il est probable que la comtesse, qui a souvent été frappée par sa mère dans son enfance, s'en venge ainsi indirectement.
Mme Fichini fouettant Sophie dans Les petites filles modèles - Gravure de Bertall [domaine public], 1927, via Wikimedia Commons
On constate également que les punitions les plus marquantes ne sont pas celles qui font mal physiquement. Ainsi, dans Les Deux Nigauds, les parents de Simplicie et Innocent, lassés d'entendre leurs enfants faire des caprices pour aller à Paris, décident de les punir... en leur accordant leur demande et en les envoyant à Paris, où leur ignorance et leur naïveté les couvriront de ridicule et leur feront très vite regretter leur voyage.
La comtesse n'oublie jamais de donner une dimension éducative à ses histoires, en soulignant les conséquences d'une mauvaise action non seulement pour les autres, mais surtout pour celui ou celle qui la commet et qui en souffre. Cela se retrouve notamment dans Les malheurs de Sophie où la mère de Sophie renonce parfois à la punir car "le bon Dieu vous a déjà punie par la frayeur que vous avez eue". De même, dans Quel amour d'enfant, la capricieuse Giselle agit presque toujours sans se soucier des autres, mais de rares moments de lucidité lui font regretter ses actes, et même souhaiter que ses parents, qui l'ont gâtée et lui ont passé tous ses caprices, l'aient un peu plus punie pour l'aider à réfréner son égoïsme, chose qu'elle ne parvient pas à faire elle-même. Ce n'est que devenue adulte, quand ses caprices sont allés jusqu'à dilapider la fortune de son mari qui finit par la chasser, qu'elle parvient enfin à se corriger en comprenant qu'elle est allée beaucoup trop loin.
Bien sûr, les livres de la comtesse de Ségur présentent un monde idéalisé, où par une sorte de justice divine, les méchants finissent toujours par être punis et une mauvaise action n'est jamais récompensée sur le long terme. Sous un regard contemporain, ils peuvent paraître moralisateurs, mais c'était le ton des ouvrages pour enfants de l'époque, et ils restent une lecture agréable et intéressante à mettre entre toutes les mains.