lundi 21 mai 2018

Le compte d'auteur, ou "Fuyez pauvres fous !"

Il en est du compte d'auteur comme de nombreuses arnaques, on a souvent l'impression d'avoir dit et redit qu'il ne fallait pas tomber dedans, et donc d'avoir suffisamment lancé d'avertissements pour que plus personne ne se fasse avoir, et un jour, fatalement, je reçois un message d'une amie qui cherche à se faire publier, et qui m'annonce avec enthousiasme qu'elle a trouvé un "éditeur" (je mets volontairement le terme entre guillemets) qui est prêt à la publier pour peu que le livre lui plaise et que (surtout) elle accepte de lui payer 2000€ pour les frais.

STOP !!!
Par Wiki-vr [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html), CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/)], via Wikimedia Commons
Nous avons là l'introduction classique du drame du compte d'auteur ! Le principe est toujours le même : on vous propose de vous éditer mais en payant ! Tout cela n'a rien de récent, j'étais déjà tombée dessus (sans donner suite) il y a quelques années quand je cherchais un éditeur, mais je constate que l'inflation a fait son chemin : à l'époque, les montants qu'on me demandait se chiffraient à quelques centaines d'euros, maintenant le millier d'euros semble être devenu la norme, en cherchant un peu on peut même tomber sur des maisons demandant jusqu'à 6000€ (ici à une jeune fille à peine majeure, c'est vous dire si les scrupules les étouffent !)

Un petit rappel sur ce qu'est l'édition à compte d'auteur et à compte d'éditeur. C'est assez facile en fait.
  • Compte d'éditeur :
    • L'éditeur supporte les frais d'édition, correction, mise en page, couverture etc... et prend en charge la distribution/diffusion ainsi que la promotion. L'auteur ne paie rien.
    • En contrepartie, l'éditeur choisit sur quels auteurs et quelles œuvres il accepte de faire un investissement (qu'il souhaite évidemment rentable). Il sélectionne donc les manuscrits qu'il reçoit.
  • Compte d'auteur :
    • "L'éditeur" ne dépense rien ou presque, et demande à l'auteur de tout payer.
    • Il n'effectue donc aucune sélection (s'il dit qu'il en fait une, il fait généralement semblant ou n'élimine que ce qui est trop visiblement mauvais).
En d'autres termes, l'attractivité du compte d'auteur réside dans le fait que sauf catastrophe, il va toujours accepter votre livre, afin de flatter votre ego, et de mieux faire accepter de votre côté le droit d'entrée élevé qu'il demande pour le faire passer de simple manuscrit à livre édité. Les anglophones ont un terme pour cela, celui de vanity publishing qui met bien en relief l'aspect psychologique. En effet, quoi de plus flatteur que de se dire qu'on a été accepté par un "éditeur" qui semble prêt à vous publier, surtout si on a essayé avant cela le classique compte d'éditeur et qu'on n'a pas passé la barrière du comité de lecture ? Qu'est-ce qu'un gros chèque et quelques économies à côté de cela ? Sans compter que si "l'éditeur" demande autant, c'est que le résultat sera forcément à la hauteur, n'est-ce pas ?

Fuyez, pauvres fous ! Vous n'êtes pas publiés, vous êtes arnaqués !

En effet, si être publié est toujours bon pour l'ego, personne ne publie juste pour publier, on espère surtout que la publication sera le précieux sésame pour le reste : la distribution en librairie, les lecteurs, et soyons fous, le best-seller et le succès.
Et c'est là que le bât blesse chez le compte d'auteur. D'abord parce que les corrections sont souvent réduites au minimum (tout travail de relecture nécessite de payer quelqu'un pour le faire, et donc d'entamer le pécule soutiré à l'auteur et de réduire les bénéfices), si bien qu'il restera dans un livre à compte d'auteur des lourdeurs, erreurs factuelles ou fautes d'orthographe ("l'éditeur" aura pris soin d'éviter de les signaler avec trop d'insistance, de peur que l'auteur soit vexé et aille donner son chèque ailleurs), autant d'éléments qui peuvent plomber les ventes et les critiques d'un livre et qui pourraient être évitées avec de bons correcteurs.
Ensuite parce que, toujours pour ne pas trop dépenser l'argent qu'il a soutiré à l'auteur et s'assurer donc une rentabilité maximum, "l'éditeur" n'investit jamais dans la diffusion ni dans la promotion du livre. Souvent, il utilise l'impression "à la demande" et se contente de signaler aux librairies l'existence de l'ouvrage, ce qui garantit qu'il ne sera disponible que sur commande, donc par des gens qui connaissent déjà son existence par un autre moyen, généralement les proches de l'auteur et personne d'autre. On n'est pas vraiment dans les meilleures conditions pour arriver à un best-seller. D'autant plus que le nom de "l'éditeur" peut même devenir un véritable boulet auprès des gens un peu au courant de l'existence du compte d'auteur, ou tout simplement ceux qui sont tombés par hasard sur d'autres livres de la maison : "ah, mais ce n'est pas l'éditeur qui a aussi publié un torche-cul masculiniste, un manuel pour faire fortune en utilisant la pyramide de Ponzi, une autobiographie sans saveur à base de moi-je-moi-je et un traité sur la guérison du cancer par les émotions ?" Voilà le livre déjà catalogué par les lecteurs, et pire, par les éditeurs normaux à compte d'éditeur qui, s'ils sont contactés pour un autre manuscrit et découvrent qu'il y a déjà eu publication à compte d'auteur, vont forcément avoir un a-priori négatif sur l'auteur (il faut savoir qu'il détestent les "éditeurs" à compte d'auteur, qui jettent par leur comportement le discrédit sur le monde de l'édition en général).
Bref, votre livre est bon pour la poubelle, et vous aurez dépensé 2000€ pour ça. Autant les jeter directement par la fenêtre, il y aura sûrement moins de conséquences.

Mais alors, que faire ?

Déjà, si un éditeur vous demande de l'argent pour vous publier, ne donnez pas suite, a fortiori s'il en demande beaucoup. Quand vous cherchez un éditeur, ne sélectionnez que ceux qui ne demandent pas d'argent.
Le problème est que vous allez devoir passer par un comité de lecture, et que vous allez donc très probablement essuyer des refus. On écrit rarement quelque chose de bon dès son premier manuscrit (pour information, Le Don d'Osiris était le troisième roman vraiment digne de ce nom que j'ai écrit, et encore a-t-il demandé des corrections, de même que pour L'étrange affaire Nottinger qui est arrivé encore après). Si l'éditeur donne une raison à son refus, c'est une chance : étudiez-la sans la prendre personnellement, et essayez de retravailler votre manuscrit en conséquence.
Pour maximiser vos chances, vous pouvez aussi faire passer au préalable votre manuscrit par des "beta-lecteurs" sélectionnés parmi vos proches (attention, préférez ceux qui ont la critique un peu facile à ceux qui vont dire que c'est bon juste pour vous faire plaisir. Parfois, il m'arrive de remercier mes parents de ne m'avoir rien épargné à ce niveau...), vos contacts sur les réseaux sociaux, ou sur des forums spécialisés. Là aussi, c'est tout un art, mais prenez toujours un peu de hauteur sur leurs retours, et croyez-moi, s'ils pointent des problèmes ou vous déconseillent de publier, ce n'est pas (toujours) par jalousie.
Autre conseil pro de quelqu'un qui est passé par là et qui a fait l'erreur pour vous : si tentant que ce soit, évitez les grosses maisons d'édition, ils reçoivent déjà trop de manuscrits et n'en lisent pas la moitié. Privilégiez les petites structures qui auront l'avantage d'être à taille plus humaine (avec des interlocuteurs plus proches) et souvent spécialisées dans le genre que vous écrivez (vérifiez bien que c'est le cas, ce serait dommage de perdre du temps à envoyer un polar à une maison spécialisée dans la poésie).

Si passer par les fourches caudines d'un comité de lecture vous effraie, il vous reste la solution de vous auto-éditer, également payante mais qui vous laisse l'avantage de contrôler à peu près tout, l'inconvénient étant qu'il faut alors savoir tout faire, de la recherche d'un correcteur à la promotion en passant par la mise en page.
Commencer juste sur Internet, sans tenter l'impression ni la reliure d'un livre papier, avec des plate-formes telles que Wattpad, peut être un bon moyen de jauger l'intérêt des lecteurs potentiels, sans compter que certains éditeurs y "font leur marché" et peuvent repérer une œuvre à fort potentiel pour l'éditer. Attention cependant, les maisons à compte d'auteur font de même...

Un dernier petit mot, ou "soyons tout à fait exhaustifs"...
Ceux qui suivent de près mes publications et qui auront regardé en détail ce qui se passe sur Atramenta auront constaté que oui, j'ai payé pour la publication d'Alva & Eini. En effet, c'était à une époque où je n'avais pas d'éditeur et où je pensais vraiment qu'Alva & Eini méritait un peu plus qu'une simple page de lecture. Cependant je ne considère pas cela comme une arnaque au compte d'auteur, d'abord parce que j'ai déboursé moins de 100€, ensuite parce que le site est plutôt honnête sur ce qu'il fait ou non, a quand même fait un minimum de relecture sur le texte (ce qui en fait une sorte de mélange de compte d'auteur et de compte d'éditeur), et n'essaie pas de promettre monts et merveilles aux aspirants auteurs. Le gérant m'a même déconseillé de prendre certaines options payantes, allant jusqu'à avouer que le référencement en librairie ne sert pratiquement à rien pour une publication aussi restreinte. Payer peu pour recevoir peu vaut toujours mieux que payer beaucoup pour recevoir aussi peu, et je le remercie pour son honnêteté à cet égard.
Je considère la publication d'Alva & Eini moins comme un but que comme une étape qui m'a permis d'en savoir plus sur la publication d'un livre. Maintenant que je suis chez Mü éditions, je ne compte pas renouveler l'expérience sur Atramenta (qui conserve cependant mes nouvelles et proto-romans disponibles gratuitement et sans frais pour moi) ; au contraire, peut-être qu'un jour Alva & Eini sera transféré chez Mü.

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