vendredi 22 novembre 2019

"American Gods" de Neil Gaiman

A quoi reconnaît-on un grand auteur ? Au fait que ses livres ne laissent pas indifférent. On peut dire beaucoup de choses sur les œuvres de Neil Gaiman, mais jamais "passez votre chemin, aucun intérêt".
American Gods est l'une de ses œuvres phares, qui a eu le privilège d'être adaptée en série sur Amazon Prime tout comme Good Omens qu'il avait co-écrit avec le regretté Terry Pratchett. Et là, contrairement à Good Omens, la série ne divulgâche pas le roman : les histoires sont basées sur le même principe et commencent de la même manière, mais évoluent différemment.

Revenons à ce principe. Les États-Unis sont une terre d'immigrants (quoi que puissent en dire certains politiciens) et ces gens venus plus ou moins volontairement de différents pays d'Europe, d'Asie ou d'Afrique ont apporté avec eux leurs coutumes, leurs croyances, leurs dieux et leurs créatures mythologiques ou folkloriques. Mais toutes les civilisations évoluent, et les Américains ont désormais de nouveaux dieux modernes comme la technologie, les médias, les automobiles... Les anciens dieux en sont souvent réduits à vivoter, tenaillés entre l'envie de ne pas se faire oublier (car un dieu qui n'a plus d'adorateurs est condamné) et celle de rester discrets car la rumeur dit que les nouveaux dieux ont l'intention d'en finir avec eux une bonne fois pour toutes.
C'est à ce moment qu'intervient Ombre (Shadow en version originale), un colosse récemment libéré de prison et qui ne retrouve le monde extérieur que pour faire le deuil de sa femme Laura. N'ayant plus d'attache, il accepte de travailler pour "M. Voyageur" (ou "Mr Wednesday" en version originale), un escroc borgne qui prétend être le dieu nordique Odin et rassembler les dieux éparpillés aux États-Unis pour faire face à la menace des nouvelles divinités. Le croyant d'abord fou, Ombre est rapidement amené à rencontrer d'autres dieux et autres créatures de différentes mythologies, et à douter de tout. D'autant plus que les nouveaux dieux connaissent son existence et estiment qu'il représente une terrible menace, et vont tenter de l'écarter du chemin. Même sa femme Laura n'a pas pu trouver le repos éternel, et erre désormais comme un zombie à sa recherche.

Comme dans sa série graphique Sandman, Neil Gaiman joue avec différentes mythologies et différents folklores et fait interagir le monde "réel" et les créatures fantastiques qui s'y cachent, d'une manière qui rappelle aussi Neverwhere mais aussi le jeu de rôle Nephilim. Le tout donne un mélange étonnant, mêlant narration très contemporaine et onirique, où les personnages (et le lecteur avec eux) ont du mal à distinguer où finit la réalité et où commence le rêve ou même la folie. On est tout à la fois dans une ancienne saga nordique, dans un road-movie désabusé et imbibé de drogues comme chez Jack Kerouac, et parfois dans une histoire à la Stephen King, où une petite ville tranquille où tout le monde est gentil cache un redoutable monstre.
C'est peut-être le but de ce point de vue à la fois à ras de terre, où ni le sexe ni la violence ne sont édulcorées, et au firmament des dieux encore en quête de gloire : se plonger dans une autre dimension et se rappeler que les contes ou les légendes peuvent avoir l'air de simples histoires pour enfants, mais qu'ils constituent souvent le fondement d'une vie ou d'une civilisation.
Comme dans certains récits mythologiques nordiques, Odin se déguise en vagabond pour arriver à ses fins dans "American Gods" - Artiste inconnu, vers 1914 [Domaine public], via Wikimedia Commons

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